Impressionnisme, mouvement pictural né en France, dans le dernier tiers du XIXe siècle, en réaction contre la peinture académique officielle.
L'impressionnisme désigne cependant moins une école à proprement parler qu'une tendance qui a entraîné derrière elle toute une génération d'artistes et ouvert la voie aux révolutions stylistiques du début du XXe siècle.
Par extension (contestée par nombre de musicologues), le terme désigne également un certain style de musique apparu au début du XXe siècle.
C'est au titre d'un tableau de Claude Monet, Impression soleil levant (1872, Musée Marmottan, Paris), que l'impressionnisme doit son nom. En mai 1874 se tient en effet dans les ateliers du photographe Nadar, boulevard des Capucines, une exposition de jeunes peintres indépendants, parmi lesquels figurent Claude Monet, Paul Cézanne , Pierre-Auguste Renoir et Alfred Sisley. Partageant la même approche picturale, à savoir le rendu du plein air et l'effet que produisent les variations constantes et imperceptibles de la lumière sur les éléments, ils avaient dû se constituer en société anonyme pour faire face à leur exclusion systématique des salons officiels. La manifestation provoque un scandale retentissant et donne tout loisir aux critiques d'art (qui ne voient dans ces toiles que des croûtes semblant « avoir déclaré la guerre à la beauté ») de manifester leurs railleries et leur mépris. C'est ainsi que le journaliste Louis Leroy, tournant en dérision le tableau de Monet, s'exclame dans la revue le Charivari : « Impression... J'en étais sûr... puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l'impression là-dedans... » Le terme était né, et accepté d'emblée par les artistes eux-mêmes et leur petit cercle d'amateurs (parmi lesquels les critiques d'avant-garde Jules Castagnary, Edmond Duranty, Théodore Duret et le marchand d'art et collectionneur Paul Durand-Ruel). Malgré la persistance des attaques malveillantes et des querelles esthétiques internes au groupe, sept autres expositions sont dès lors organisées sous cette étiquette, dont la dernière a lieu en 1886.
L'impression fugitive
Dès le début des années 1860, le terme « impression » est au cœur de toutes les conversations des jeunes peintres, qui se retrouvent autour d'édouard Manet , au café Guerbois puis au café de la Nouvelle-Athènes. Sans théorie esthétique véritable, ces artistes travaillent à une nouvelle manière de peindre liée à une nouvelle manière de voir. La vision en plein air, sans cesse renouvelée par les variations de la lumière, l'impression fugitive à saisir deviennent pour eux le véritable sujet à peindre. à cet effet, ils puisent à plusieurs sources, s'inspirant des œuvres d' Eugène Boudin, de Johan Barthold Jongkind et de Camille Corot, des tableaux de l'école de Barbizon ou encore de ceux de Courbet et de Manet, dont les thèmes empruntés à la vie quotidienne leur ouvrent la voie. Il s'agit pour eux de retranscrire une sensation immédiate et, pour ce faire, ils définissent peu à peu l'espace par une décomposition des tons, une fragmentation des touches suggérant formes et volumes au détriment du dessin. Appliquant ensuite les théories du chimiste Eugène Chevreul (1839) sur le cercle chromatique et le mélange optique, ils se limitent aux couleurs primaires (rouge, bleu et jaune) et leurs complémentaires (orangé, violet et vert), dont la juxtaposition sur la toile permet de rendre toutes les vibrations de l'atmosphère. Nombreuses sont ainsi les œuvres, antérieures à 1874, qui contiennent en germe les conquêtes de l'impressionnisme — notamment les toiles peintes en 1869 à « La Grenouillère », dans l'île de Croissy, près de Bougival, par Renoir (Grenouillère, collection Oskar Reinhart, Winterthur, Suisse, et National Museum, Stockholm) et par Monet (Metropolitan Museum of Art, New York). Et lorsque Pissarro et Monet, fuyant la France en guerre pour se réfugier à Londres, peuvent admirer les peintures de Turner et de Constable, cette découverte ne sera que le « révélateur » d'un style déjà largement élaboré.
Monet, chef de file
à son retour d'Angleterre, Monet s'installe à Argenteuil jusqu'en 1878. à bord d'un bateau aménagé en atelier, il travaille sans relâche sur le motif, cherchant inlassablement — malgré les difficultés financières et les réactions hostiles du public — à rendre les effets lumineux du ciel et de l'eau, la vibration colorée de leurs effets changeants (Voiliers, Régates à Argenteuil, 1874, Musée d'Orsay, Paris). Le miroitement des eaux et, de manière générale, l'élément fluide comptent désormais parmi les thèmes majeurs des peintres impressionnistes qui viennent tour à tour travailler auprès de lui à Argenteuil. Bien qu'il reste à l'écart de leurs expositions, édouard Manet rejoint le petit groupe au cours de l'été 1874, et sa peinture se voit dès lors relevée d'une luminosité nouvelle.
Monet ne tarde pas à prendre sur le groupe un véritable ascendant, au point d'en devenir le chef de file. Caillebotte , qui signe à ses débuts des œuvres réalistes les Raboteurs de parquet, 1875, Musée d'Orsay, Paris), subit ainsi son influence à partir des années 1880, période à partir de laquelle il ne peint plus guère que des vues de la Seine.
Le critique Armand Sylvestre ne se trompe guère lorsqu'il écrit en 1874 : « Monet est le plus habile et le plus osé, Sisley le plus harmonieux et le plus craintif, Pissarro, le plus réel. » C'est en effet un équilibre calme qui se dégage des tableaux de Sisley, qu'il peigne le brouillard, l'eau (Inondation à Port-Marly, 1876, Musée d'Orsay, Paris, et Musée des Beaux-Arts, Rouen) ou la neige. Quant à Pissarro, installé à Pontoise en 1872 où il est rejoint par Cézanne , il adopte, avec une touche pourtant étonnamment libre, le parti d'une composition structurée et ferme. Très attaché aux valeurs de la nature et à la terre, il préfère toujours au thème de l'eau celui des villages. Il multiplie pourtant par la suite les paysages urbains, à l'instar de Renoir (les Grands Boulevards, 1875, collection particulière, New York) et de Monet (Boulevard des Capucines, 1873, collection particulière, New York).
La ville et la réalité immédiate
La ville, berceau de la modernité, attire en effet les impressionnistes, qui lui consacrent certaines de leurs meilleures toiles. La plupart parviennent à saisir à la fois l'agitation trépidante de la rue et sa lumière propre en d'audacieux raccourcis. C'est encore Monet qui explore le mieux cette modernité des paysages urbains en choisissant de peindre la Gare Saint-Lazare (1877, Musée d'Orsay, Paris), thème qui lui inspire sept toiles, qui inaugurent ses célèbres séries futures (les Cathédrales, les Meules, les Nymphéas). Aux fumées des villes, Renoir préfère la figure humaine, à laquelle il applique les principes de l'impressionnisme. En 1876, il réalise trois œuvres remarquables, toutes trois conservées au Musée d'Orsay : le Bal au moulin de la Galette, scène populaire et campagnarde, la Balançoire et étude; torse, effet de soleil (Musée d'Orsay, Paris), que les critiques n'hésitent pas à qualifier d'« amas de chair en décomposition ». Quant à Degas , pourtant principal animateur des expositions impressionnistes, il n'adhère au mouvement qu'au nom de la liberté de peindre, préférant de très loin au plein air « ce que l'on ne voit plus que dans sa mémoire ».« Il vous faut une vie naturelle ; à moi la vie factice », explique-t-il à Pissarro. Pourtant, qu'il utilise l'huile ou le pastel, ses thèmes s'avèrent résolument modernes lorsqu'il montre le monde animé des champs de courses et celui de l'Opéra, les cafés, les boutiques de repasseuses et de modistes. Autant de prétextes à rendre le mouvement par la décomposition des gestes, l'espace par d'ingénieux cadrages, et à varier enfin à l'infini les effets chromatiques.
à l'issue d'une décennie héroïque — 1870-1880 — et alors que le mouvement commence à être reconnu, la spontanéité impressionniste s'essouffle : Pissarro et Renoir, entre autres, commencent à en pressentir les défauts, et la manière de chacun, désormais parvenue à maturité, poursuit son évolution propre. Simultanément, à l'orée des années 1880, débutent de nouvelles recherches esthétiques, certes issues de l'impressionnisme, mais souvent en réaction contre une déclinaison abusive de ses préceptes.
Impressionnisme
«Ils le prirent, [le nom d'Impressionnistes], pour relever une injure qui leur était adressée par leurs détracteurs et dont ils se firent leur titre de gloire, comme les révoltés des Pays-Bas s'en firent un de l'injure de «gueux.» On la leur jeta comme une pierre: ils s'en parèrent comme d'un joyau. Il se peut que cette histoire soit vraie, mais elle n'est nullement indicative de leur rôle. Si ces peintres méritent le nom d'Impressionnistes, c'est, qu'en effet, ce qu'ils cherchèrent à reproduire de la nature c'était non pas la sensation prolongée qu'elle éveille; mais la surprise, non pas la substance qu'elle annonce, mais le rayonnement. Ils ne prétendaient qu'aux qualités que donne la vision juste, mais hâtive d'un effet, éclatant, mais fugitif. Ils ne se chargeaient point de nous donner tout le détail, tout l’agencement, toute la raison d'être des choses, mais seulement l’"impression."
Par là, ils se réservaient un avantage que connaissent bien tous ceux qui ont fait des études d'après nature et qui, ensuite, ont voulu, les transformer en tableaux. Ce que l'analyse de l'atelier n'arrive pas à débrouiller, la hâte de la pochade le synthétise; ce que le souvenir ne fournit plus, la couleur prise sur le vif devant la nature, le donne. L'«impression» est une admirable metteuse en scène et ce n'est pas sans raison que Delacroix dans son Journal : en 1859, Champrosay, 9 janvier, se promettait de réfléchir: « Sur la difficulté de conserver l'impression du croquis définitif...»
Inspirés par une idée juste de leur époque, inconsciemment pénétrés du désir de l'idéaliser, servis par des organes très pénétrants et très sensibles; enfin munis d'une retentissante étiquette, les Impressionnistes, les Jongkind, les Renoir, les Monet, les Pissarro, les Cézanne, les Sisley, pouvaient accomplir dans notre art du XIXe siècle un rôle utile.»
ROBERT DE LA SIZERANNE, "L'Art à l'Exposition de 1900: Bilan de l'Impressionnisme", Revue des deux mondes, Paris, 1900, vol. 159, p. 628
La grande innovation des Impressionnistes: la peinture en plein air (Théodore Duret)
«Comment l'art des Impressionnistes présentait-il des traits inattendus ? D'où lui venait cet aspect à part, qui excitait d'abord le rire, le mépris et l'horreur.
à leur point de départ les Impressionnistes avaient pris à Manet la technique des tons clairs, débarrassés des ombres traditionnelles et ils s'étaient mis à peindre directement en plein air devant la nature. Ils avaient trouvé déjà en usage la pratique de peindre en plein air, ils n'en étaient pas les inventeurs. Constable en Angleterre, Courbet et Corot en France l'avaient appliquée auparavant; mais ceux-ci ne s'en étaient servi qu'accessoirement, pour obtenir des esquisses et des études, leurs vrais tableaux étant toujours peints à l'atelier. La grande innovation des Impressionnistes avait été de généraliser l'exception. Ils s'adonnèrent systématiquement à la peinture du plein air. Tous leurs paysages, pour les peintres de figures tous les tableaux avec fonds de paysage, furent exécutés au dehors, dans l'éclat vif de la lumière, devant la scène à représenter.
L'emploi exclusif des tons clairs et l'usage persistant de peindre en plein air, dans la lumière, formaient une combinaison neuve et hardie, d'où devait sortir un art aux traits nouveaux. En effet le peintre qui se tenait tout le temps devant la nature était conduit à en saisir les colorations variées et fugitives, négligées jusqu'alors. Un paysage n'était plus pour lui le même, par le soleil ou le temps gris, par l'humidité ou la sécheresse, le matin, à midi ou le soir. Le peintre enfermé dans l'atelier avait donné à la nature une sorte d'aspect uniforme, de caractère constant, que le peintre en plein air ne pouvait connaître. Pour le peintre dans l'atelier, le feuillage avait été d'un vert déterminé, l'eau avait eu une «couleur d'eau» permanente, le ciel avait été d'un certain bleu et les nuages d'un certain gris. Mais à l'Impressionniste les scènes naturelles, sur lesquelles il tenait tout le temps les yeux, ne purent se présenter que sous les aspects divers, que les variations de la lumière et les changements de l'atmosphère leur faisaient prendre. Et comme l'Impressionniste disposait des ressources procurées par l'emploi des tons clairs, débarrassés d'ombres, il put appliquer sur ses toiles ces couleurs éclatantes, qui correspondaient aux effets variés que les scènes naturelles lui offraient. On vit ainsi apparaître, dans les tableaux des Impressionnistes, les plaques de lumière que le soleil, passant à travers le feuillage, étend sur le sol; on vit reproduire les verts tendres et aigus qui couvrent la terre au printemps, les champs brûlés en été par le soleil prirent des tons roussis, l'eau n'eut plus de couleur propre, mais les reçut toutes en succession. Puis les Impressionnistes ayant découvert que les ombres, selon les effets de lumière, sont en plein air diversement colorées, peignirent sans hésiter des ombres bleues, violettes, lilas.
Les œuvres ainsi exécutées présentèrent tout à coup au public une coloration, qu'il n'avait encore jamais vu apparaître en peinture. Elles pouvaient bien correspondre au véritable aspect de la nature, vue d'une certaine façon, mais comme personne n'a l'habitude de regarder la nature, pour décider de sa correspondance avec les tableaux peints, qu'on ne juge que par comparaison avec le genre de peinture alors accepté et qui a façonné lés yeux, les œuvres des Impressionnistes devaient à leur coloris nouveau et imprévu, une méconnaissance absolue.
En outre les Impressionnistes, parce qu'ils peignaient directement devant la nature, étaient amenés présenter des formes générales autres que celles des devanciers. Ils n'ont plus eu le temps et la faculté d'exécuter le travail de reconstruction, de métamorphose, d'embellissement, auquel s'étaient livrés les peintres demeurés à l'atelier. Non seulement leurs œuvres ont pris de ce fait un aspect plus simple, mais l'ordre des motifs s'est étendu. Les devanciers, arrangeant dans l'atelier, avaient rendu la nature sous certaines apparences préférées. Ils avaient recherché des sites jugés particulièrement nobles, pittoresques et, comme tels, tenus seuls pour dignes d'être reproduits. L'Impressionniste parti pour peindre en plein air, frappé par un effet momentané de l'atmosphère ou de la végétation, se mettant directement à le fixer sur la toile, à l'état d'œuvre définitive, ne s'est plus inquiété du site où il le découvrait. Il était sur la grande route et il l'introduisait sur sa toile avec les arbres ébranchés qui la bordent, et ce motif lui paraissait aussi noble que tout autre. Il se trouvait devant un village et il le peignait avec les jardins potagers ou les champs de légumes, qui pouvaient l'entourer. Lorsqu'il rencontrait de l'eau, il ne se demandait point, comme l'avaient fait tant d'autres, si elle était limpide et apte à refléter les objets, mais il la saisissait sous tous ses aspects, la trouvant aussi intéressante par les temps gris et les grandes pluies, qui. la rendent jaune et opaque, que par le soleil qui en fait un miroir transparent.
Les œuvres des Impressionnistes, en ne mettant plus sous les yeux du public des tableaux arrangés, des sites choisis, des motifs embellis, rompaient avec les formes admises et, par surcroît, les touches fondues, la facture large, employées à leur exécution, ajoutaient de nouveaux traits imprévus à leur physionomie anormale. Les contours dans les œuvres impressionnistes n'avaient pu rester aussi arrêtés que dans l'ancienne peinture, les lignes aussi rigides, les formes aussi précises. Quand l'Impressionniste peignait le brouillard ou les buées qui enveloppent les objets, quand il peignait les plaques de lumière vacillantes, qui, à travers les arbres agités par le vent, viennent éclairer certaines parties du sol, quand il peignait l'eau houleuse de la mer, se brisant en embrun sur les rochers, ou le courant rapide d'une inondation, il ne pouvait espérer réussir à rendre son effet, qu'en supprimant les contours rigides et arrêtés. C'était réellement l'impression que les choses faisaient sur son œil qu'il voulait rendre, des sensations de mouvement et de lumière qu'il voulait donner et il ne pouvait y parvenir, qu'en laissant souvent sur sa toile les lignes indéfinies et les contours flottants.
Le public se trouvait donc déconcerté de toutes les manières devant les œuvres des Impressionnistes. Elles lui offraient un système de coloris, une variété de tons, un éclat de lumière tout nouveaux, elles ne lui présentaient plus ces sites choisis, ces motifs arrangés, auxquels il était accoutumé, elles substituaient une touche large, des contours flottants aux lignes arrêtées traditionnelles. Ne possédant plus ces traits que l'habitude avait fait considérer comme essentiels dans toute œuvre d'art, elles faisaient naturellement l'effet de choses grossières, monstrueuses, de simples esquisses ou ébauches sans formes.»
THéODORE DURET, Histoire des peintres impressionnistes, Paris, Floury, 1939, p. 26 et suiv.
© 1997 Encyclopædia Universalis France S.A.
Tous droits de propriété intellectuelle
et industrielle réservés.